C’est la troisième fois que Laurence m’écrit. Elle est plutôt sympathique, Laurence. Depuis que je l’ai croisée durant mes vacances, elle ne cesse de répéter le bonheur qu’elle a eu de me rencontrer dans ce camping de bord de mer où j’ai loué un bungalow en famille. Elle évoque non seulement des souvenirs qu’elle qualifie de merveilleux, mais aussi sa volonté d’améliorer encore nos expériences communes dans le futur. Elle m’adresse ses plus cordiaux messages, en évoquant encore la fidélité qui nous lie. Oui, elle cultive la proximité, Laurence. Elle me tutoie, et tient maintenant à ce que je lui donne mon avis en tête-à-tête. Comment dire? C’était une bonne semaine de vacances, avec une infrastructure moderne et des animations à gogo, même si une climatisation digne de ce nom manquait et que le personnel de restauration était parfois débordé.
Mais voilà, Laurence n’est pas une personne ordinaire. Elle fait office de contact avec cette chaîne de camping, qui envoie de nombreux emails à ses clients, personnalisés grâce à cette Laurence. Une sorte de mascotte virtuelle, au fond. Laurence n’existe donc pas – même si au Japon, on dit que les machines ont peut-être une âme -, elle ne restera qu’une présence furtive dans ma vie, produit de la numérisation rampante.
C’est bien l’omniprésence de ce terme qui s’impose aujourd’hui dans les entreprises et les réseaux sociaux. Tout numériser, transformer les habitudes, automatiser, pour plus d’efficacité tout en réduisant les coûts. Et la prochaine étape? Laurent Testart parle de transhumanisme, d’exosquelette pour dépasser notre physique afin de rendre les ouvriers et les soldats plus performants, d’une puce sur tous les enfants pour prévenir les enlèvements, ou encore d’implants oculaires pour voir la nuit, ainsi que d’une pilule neutralisant les effets du manque de sommeil…
Le médecin Laurent Alexandre affirme que l’homme qui vivra 1000 ans est déjà né. Mais comment le reconnaître? Sera-t-il un collaborateur compétent? Trouvera-t-il du sens à rester dans son entreprise? Pourra-t-il développer son potentiel? Verra-t-il défiler les chefs, ou deviendra-t-il lui-même le chef de l’entreprise, vu sa masse de connaissances? Rien n’est moins sûr…
Finalement, pour l’homme sage rien ne change, car nous avons tous une parcelle d’immortalité, comme disait Ghandi: « Il faut vivre comme si on mourait demain et apprendre comme si on ne meurt jamais ». Et le robot jamais ne saisira cette posture de Gérard Depardieu: « J’adore le silence, celui où j’entends jusqu’à mon sang qui coule. Le silence fait que vous pouvez recevoir quelque chose. En scène, c’est là où commence la vie. »
Alors Laurence, maintenant que j’ai rempli le questionnaire en ligne, tu seras gentille de me laisser en paix. Merci.
Article publié sur HR Today . Félix d. Hauswirth, psychologue et consultant en ressources humaines